Objets Connectés

Objets connectés : tous mesurés ?

objets-connectés_automesure-le-corps-quantifié

Durant quelques jours, notre open space s’est métamorphosé. Il n’était plus question que de calories brûlées, de pas effectués ou de fréquence cardiaque mesurée. L’équipe du supplément « Science & médecine » s’échangeait des objets connectés, bracelets en plastique ou petits bijoux miniatures éclairés de quelques diodes.

BALANCES CONNECTEES, CHAUSSETTES CONNECTEES, BROSSES À DENTS CONNECTEES…

Nous avons testé l’automesure, cette tendance consistant à enregistrer le plus grand nombre de données sur sa vie quotidienne, diurne et même nocturne. Grâce à des connexions avec l’indispensable smartphone, ces données prennent vie avec des graphiques colorés, des indicateurs de progression ou des invitations à dépasser ses objectifs.

Et nous aurions pu aller plus loin tant ces objets connectés se multiplient : balances intelligentes qui collectent l’indice de masse corporelle (IMC), tee-shirts connectés enregistrant les battements du coeur, chaussettes connectées dotées de capteurs de température et de pression, brosse à dents connectée qui analyse votre brossage, ou encore « Mother », successeur du lapin communicant Nabaztag, qui, branchée sur un routeur ou une box Internet, peut connecter jusqu’à 24 objets agrémentés de capteurs.

Venus des Etats-Unis, « ces objets connectés à des téléphones portables sont apparus en 2006 pour le grand public, même si des sportifs en utilisaient déjà pour améliorer leurs performances. Plus largement, l’automesure remonte au XIXe siècle, avec l’apparition des thermomètres et des balances au domicile », rappelle le docteur Nicolas Postel-Vinay, qui a créé avec les équipes de l’Hôpital européen Georges-Pompidou le site Automesure.com dès 1999.

15 MILLIARDS D’OBJETS CONNECTÉS

« Des outils existent depuis 1985 pour les hypertendus. Ainsi, un tiers des malades, soit quatre millions de personnes, mesurent eux-mêmes chaque jour leur tension à domicile », ajoute-t-il. D’autres capteurs sont largement utilisés pour des maladies chroniques comme l’asthme ou le diabète. Ce sont parfois des dispositifs médicaux qui répondent à des contraintes réglementaires très strictes.

Mais l’avènement de capteurs bon marché démocratise ces outils. Ils sont à l’avant-garde de l’Internet des objets, présenté comme de la première révolution technologique du XXIe siècle : on compte 15 milliards d’objets connectés (4 milliards en 2010), et il y en aurait 80 milliards en 2020, selon l’observatoire Idate, toutes applications confondues (transport, domotique, santé). « Certes, ce marché est dynamique, mais personne ne peut prédire quels seront les facteurs des futurs produits qui assureront sa croissance », prévient David Roine, de l’équipe marketing stratégique du fabricant de puces STMicroelectronics.

Selon une étude réalisée décembre 2013 par L’Atelier BNP et l’institut de sondage IFOP, 11 %, des Français possèdent un objet de mesure connecté, soit 5 millions de personnes. Il y aurait en outre 40 000 applications santé et bien-être aujourd’hui disponibles sur mobile en 2013, pour un marché qui devrait atteindre 10,2 milliards de dollars (7,5 milliards d’euros) en 2018, selon le cabinet Transparency Market Research.

Ces technologies séduisantes et ludiques pour objets connectés posent cependant d’importantes questions quant à leur efficacité et quant à l’utilisation des données. Décryptage.

objets_connectés_automesure-le-corps-quantifié_2

LES CAPTEURS SONT-ILS FIABLES ?

Les limites de ces mesures sont évidentes : balancer le bras peut compter pour un pas, quand avancer à vélo peut compter pour rien… Nous avons ainsi constaté sur une journée et environ 8 000 pas un écart de près de 25 % entre la mesure la plus basse et la plus haute sur trois appareils testés.

En novembre 2013, l’université du Colorado montrait dans Medicine and Science in Sports and Exercise qu’un appareil de la société Fitbit sous-estimait de quelque 28 % les calories dépensées lors d’un exercice. Quant à la fréquence cardiaque, chacun sait qu’un stress ou un bruit faisant sursauter induit un changement de rythme non associé à une dépense calorique supplémentaire.

Interrogés sur la précision de leurs appareils, les fabricants répondent de façon évasive. « Nous sommes les plus précis du marché » (Fitbit). « Nos campagnes de test sur le terrain donnent de bons résultats » (Withings). « Nous sommes très précis mais nous ne donnons pas de chiffres » (Jawbone). Leur argument : le chiffre absolu n’est pas si important, car ce qui compte ce sont les écarts, en plus ou en moins, chaque jour.

Du côté des applications, le flou est encore plus important. Les objets connectés communiquent bien sûr avec le logiciel conçu par leur fabricant, mais les données peuvent aussi être agrégées par d’autres applications. Withings, l’un des leaders du secteur, fonctionne ainsi avec une centaine d’entre elles.

Ces coachs virtuels promettent tour à tour de perdre du poids, d’améliorer la qualité du sommeil, de doper les performances sportives ou encore de prévenir des maladies liées au mode de vie. L’application santé la plus téléchargée du monde (3,6 millions d’utilisateurs), Tactio, calcule ainsi la probabilité d’être victime d’un accident cardiovasculaire ou de développer du diabète à partir de mesures comme le poids, les calories brûlées, le taux de cholestérol, ou encore la glycémie.

Cette application, lancée en France en décembre 2013, a reçu la bénédiction de nombreux professionnels de santé, ce qui n’est pas le cas de la majorité d’entre elles. Pour aider les mobinautes à se repérer dans ce maquis, un jeune interne en psychiatrie, Guillaume Marchand, et deux de ses amis ont créé en 2011 DMD, une start-up qui évalue les applications santé en France. Avec l’aide de centaines de professionnels de santé et de patients, DMD en a passé en revue près de 500 : chacune a reçu une note sur 20 assortie d’un commentaire sur son utilité et son ergonomie.

A partir du printemps, DMD fera de même pour les applications liées aux objets connectés. La société étudiera aussi la question plus délicate de la fiabilité des données qu’ils recueillent et du fondement scientifique de leur interprétation.

OBJETS CONNECTES. QUELLE FINALITÉ ? QUEL INTÉRÊT ?

A des milliers de kilomètres de là, au coeur de la Silicon Valley, en Californie, les geeks ne se posent pas tant de questions. Pour Bertrand Diard, cofondateur de Talend (une société spécialisée dans le « big data »), les objets connectés font désormais partie du quotidien. Equipé d’un bracelet Jawbone, d’une balance Withings et d’un capteur Nike +, il a transformé son smartphone en coach.

« J’établis des corrélations entre mes performances sportives, mes cycles de sommeil, mon poids et même la quantité de CO2 dans l’air de ma chambre ! », témoigne-t-il. L’idée : repérer et corriger les – mauvaises – habitudes de vie pour garder la forme. Désormais, il apporte ses « courbes » chez son médecin, qui les regarde avec le plus grand sérieux. Celui-ci n’hésite plus à recommander ces objets, qui l’aident à poser un meilleur diagnostic, par exemple chez ceux qui se plaignent de troubles du sommeil.

Dans un pays où les assureurs n’hésitent pas à moduler leurs tarifs en fonction du profil de leur client, l’idée d’ajouter ces informations au dossier médical du patient fait aussi son chemin. « Aux Etats-Unis, certains réfléchissent à intégrer des objets Withings dans leur offre et de plus en plus d’entreprises en offrent à leurs salariés », indique Alexis Normand, responsable du développement des activités santé de la société, qui réalise plus de la moitié de ses ventes outre-Atlantique. En France, il vient de signer ses deux premiers contrats… avec des laboratoires pharmaceutiques.

En incitant les personnes équipées à modifier leur comportement, ces outils contribueraient à lutter contre la sédentarité, à l’origine de nombreux maux. « Il n’y a cependant pas encore de preuve scientifique que ce soit plus efficace qu’un suivi classique. Il est nécessaire de produire des études sérieuses sur des cohortes de taille significative », indique le docteur Jean-Pierre Blum, conseiller technologies du député (PS) Gérard Bapt, qui préside le groupe parlementaire numérique et santé.

« A côté d’outils pouvant être efficaces, comme le pilulier communicant Medipac de Medissimo, utilisé pour éviter le mésusage de médicaments, le surdosage et la non-observance, il existe aussi beaucoup de gadgets, comme les couverts qui évaluent si vous mangez trop vite », prévient le docteur Antoine Vial, expert en santé publique. « Dans tous les cas, les utilisateurs doivent être très vigilants sur la destination des données », prévient-il.

OÙ VONT LES DONNÉES DES OBJETS CONNECTES ?

C’est la question sensible. Pour ce qui est des objets connectés, les vendeurs sont unanimes : les données personnelles sont sous le contrôle de l’utilisateur et ne sont récupérées par des tiers qu’après son consentement.

En réalité, c’est bien moins simple. Ces données, hébergées par les fabricants d’objets, servent anonymement à l’amélioration des performances de leurs algorithmes. Elles « fuitent » aussi naturellement à l’extérieur, car, pour encourager l’utilisateur dans son activité d’autoévaluation, il est incité à partager ses performances avec ses amis inscrits sur les réseaux sociaux.

Concernant les applications sur mobile, le devenir de ces informations est encore moins clair. L’équipe Privatics, de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), à Grenoble, a commencé des tests sur 59 d’entre elles.

Résultat : seules 13 n’envoient pas de données à l’insu de l’utilisateur. Les autres communiquent des identifiants personnels liés au téléphone ou à l’opérateur, des éléments de localisation, voire l’adresse mail. « Notre soupçon, c’est que ces informations sont envoyées à des régies publicitaires à des fins de marketing et de ciblage des utilisateurs », estime Vincent Roca, coauteur de cette étude encore en cours.

« Ces données doivent être protégées comme un coffre à la banque, estime le docteur Jacques Lucas, vice-président du conseil national de l’ordre des médecins. Ces outils, s’ils étaient recommandés ou prescrits par des médecins, auraient une diffusion plus sécurisée, la question centrale étant de savoir si cette innovation améliore la qualité de vie de la personne et, in fine, son espérance de vie. »

OBJETS CONNECTES. QUEL MODÈLE ÉCONOMIQUE ?

L’essentiel du chiffre d’affaires des fabricants de bracelets, balances et autres accessoires repose sur la vente de leurs produits (souvent supérieur à 100 euros).

Le business model est plus complexe pour les applications, dont le développement coûte entre 10 000 et 50 000 euros. Seules 28 % sont payantes, entre 0,79 euro et 8,99 euros, avec une moyenne à 2,56 euros. Les possesseurs d’iPhone sont les plus dépensiers, au point que des applications gratuites sur Android (le système d’exploitation de Google) sont payantes sur iOS (celui d’Apple) !

Classiquement, les applications gratuites ont comme contrepartie l’insertion de nombreuses publicités sous forme de bannières ou de pages qui s’intercalent entre deux écrans. Ces réclames sont cependant nettement moins rentables que celles qui s’affichent sur les ordinateurs : « Un millier de publicités vues sur un smartphone nous rapportent 1 euro, contre environ 6 euros sur un écran classique, indique Valérie Brouchoud, directrice de Doctissimo, le premier site santé en France. Mais ce tarif est plus élevé avec des applications très ciblées, comme Ma grossesse. »

Cette équation incite-t-elle certains à monétiser les précieuses données de leurs clients ? Fabricants et éditeurs assurent que non, ce qui ne les empêche pas de valoriser autrement ces informations : sur l’obésité, Withings réalise avec des chercheurs des études fondées sur les données anonymes de ses clients.

Face à la multiplication des acteurs et aux détournements possibles de ces informations, la Commission nationale de l’informatique et des libertés s’est emparée de ces questions. L’inconstance de certains utilisateurs pourrait leur assurer une protection naturelle : selon Himss, une organisation internationale faisant la promotion de ces technologies, 80 % des applications santé sont utilisées moins de 500 fois, pendant moins de cinq semaines…

Article lemonde.fr. Le 10 février 2014.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s